L'incident de Marseille ou la débandade de la littérature

Publié le par Association France Israël Marseille

par Jean-Pierre Bensimon, pour Objectif-info, le 10 décembre 2011
Le 3e Salon des écritures méditerranéennes (Ecrimed) était convoqué cette année sur deux journées, les 3 et 4 décembre. La première journée, celle du samedi, a été marquée par un sérieux incident, l'exclusion de l'écrivain israélien Mosché Sakal d'une table ronde où le programme de la journée annonçait sa participation. Certains participants arabes, le Palestinien Najwan Darwish, son traducteur libanais Antoine Jockey, ainsi que l'Egyptien Khaled el Khamissi, refusaient en effet de s'asseoir à une table où figurerait l'Israélien. Non pas pour avoir été l'auteur d'un acte ou d'un écrit litigieux mais exclusivement du fait de son identité nationale. Ce refus, un acte de racisme, un "point d'apartheid" dans le logos de la propagande palestinienne, n'aurait été qu'un incident de plus dans la longue histoire du mur d'accusation et d'humiliation que tentent de dresser les nomenklaturas arabes autour d'Israël s'il avait abouti à sa conclusion logique: le départ de ceux qui refusaient de dialoguer. Mais ce fut l'inverse qui arriva. L'Israélien ne figura pas à la table ronde intitulée "Où étaient les écrivains dans le printemps arabe ?" mais sur un siège de spectateur, dans la salle. L'exigence des trois participants arabes était satisfaite, leur loi régnait.

 

Cette mise au ban perpétrée sur le territoire français à l'encontre d'un Israélien, d'un Juif, était rapportée par le quotidien israélien Haaretz (1). Elle provoquait une intense émotion chez tous ceux qui assistent avec inquiétude et colère à la guerre idéologique implacable menée contre l'Etat juif par tout ce que le monde compte de fanatiques islamiques, de post-fascistes et d'idiots utiles. D'autres étaient beaucoup plus placides. Parmi eux Pierre Assouline, le directeur littéraire du salon, à qui revint sans doute la décision de satisfaire l'ukase des obstructeurs arabes, de maintenir la table ronde, et d'effacer en douceur l'Israélien du débat.

 

Dans son blog "La république des Lettres" il se défend vigoureusement de tout cela. (2) Selon lui, Mosché Sakal n'a pas pu être exclu tout simplement parce que "en tant qu'Israélien, il n'avait rien à y faire ... de toutes façons, un tel débat n'était pas prévu." Juste avant le débat, ajoute-t-il, " plusieurs écrivains arabes vinrent quand même me prévenir que si d’aventure un Israélien devait débattre avec eux, ils préféraient se retirer... Aussi ai-je ouvert la séance en rapportant cette conversation et en demandant à chacun de s’expliquer. Ce qu’ils firent. ". Mieux encore nous dit Assouline, " au moment rituel de passer la parole à l’assistance, j’ai tenu à confier le micro en priorité à Mosché Sakal, plusieurs fois mis en cause, qui avait assisté au débat assis juste derrière moi. Debout face au public, il s’est exprimé calmement durant une vingtaine de minutes.." D'ailleurs Sakal a bien participé à une autre table ronde le lendemain. Conclusion : "Pas plus d’écrivain expulsé que de sardine bouchant l’entrée du port."

 

Ce morceau de littérature mérite de figurer au panthéon de la falsification et de la soumission revendiquée. Regardons de plus près le déroulé du discours du directeur littéraire.

 

1) La participation de Sakal à ce débat-là n'était pas prévue. Pourtant, le programme imprimé mentionne à la table ronde du samedi à 15 h les noms suivants : " Azza Filali (Tunisie), Maissa Bey (Algérie), Mario Levi (Turquie), Ersi Sotiropoulos (Grèce), Sergi Pamiès (Espagne), Mosché Sakal (Israël)" Mais rétorque Assouline, "Le programme, imprimé il y a trois mois, comportait des erreurs aussitôt corrigées sur le site d’Ecrimed parmi celles-ci, outre la présence annoncée d’Adonis, Juan Goytisolo ou Angelo Rinaldi, dont on enregistra aussitôt après les défections, il y avait également la présence de Mosche Sakal dans ce débat..." Effectivement le nom de Sakal ne figure plus sur le site Internet d'Ecrimed pour la table ronde du samedi. Mais pourquoi donc les noms de Adonis, Juan Goytisolo, Angelo Rinaldi figurent-ils toujours alors qu'ils font erreur eux aussi? Adonis est toujours présenté comme le parrain de l'édition 2011. On sait qu'en quelques clics on modifie une page Internet. Visiblement on s'est contenté de modifier en urgence une seule "erreur", celle où conformément au programme imprimé Sakal figurait en toutes lettres dans ce débat.

 

Et si Sakal ne figurait pas au programme, pourquoi donc, juste avant le débat, les trois écrivains arabes sont-ils venus dire à Assouline qu'ils se retireraient si Sakal était présent? Ils n'avaient aucune raison de le faire, Sakal n'était pas un problème puisque non participant. Ces trois là auraient été assez stupides pour mettre Assouline en demeure de retirer un non-participant? Non, c'est d'un participant qu'ils demandaient la tête.

 

Et pourquoi Assouline exigea-t-il que les trois s'expliquent publiquement sur les raisons qui leur interdisaient de s'asseoir aux cotés de Sakal s'il n'était pas prévu que ledit Sakal prenne place à la table? Assouline nous résume opportunément leurs justifications: «"Je ne dialogue pas avec celui qui occupe mon pays, c’est une question d’éthique, sans parler des problème qui m’attendent avec le Hamas" avança le Palestinien. "La loi de mon pays m’interdit tout contact avec un Israélien sans parler des problèmes qui m’attendent à mon retour avec le Hezbollah" ajouta le Libanais. "Les institutions culturelles et littéraires de mon pays boycottent la normalisation avec Israël et je les suis" précisa l’Egyptien ». Ou bien, en demandant la non participation d'un non participant les trois sont fous collectivement, ou bien ils refusent un participant inscrit au débat et Assouline ment.

 

Ce n'est pas tout. Quand vient le tour de l'assistance, Assouline tient à donner en premier lieu le micro à Sakal. Pourquoi cette volonté affirmée, pourquoi ce privilège, si ce n'est pour compenser la parole qui lui avait été ôtée? D'autant que ce faisant Assouline ne dérogeait pas à sa capitulation devant ses trois invités arabes litigieux: Sakal parlait, mais des travées, loin de la table interdite. Et pourquoi Tahar Ben Jelloun, Kamal Ben Hamada et Franz Olivier Giesbert "dénoncèrent vivement, chacun à son tour, une telle attitude ?" Ils dénonçaient quoi? Ou bien ils dénonçaient la non-participation d'un non-participant et ils sont collectivement fous eux aussi, ou bien encore une fois, Assouline ment et Sakal était bien l'un des intervenants prévus.

 

2) Sakal a participé à une autre table ronde le lendemain. Dame, à cette table ronde, aucun des trois écrivains arrogants n'était convoqué ! (3) Elle a pu se dérouler normalement.

 

3) En tant qu'Israélien, Sakal n'avait rien à y faire. C'est sans doute là que le système d'Assouline rompt tous les ponts avec la décence. Un Israélien n'a rien à faire dans un débat sur "les écrivains dans le printemps arabe." C'est un écrivain juif qui vous le dit. Pour penser le rapport écrivains/printemps arabe, on peut être écrivain turc (Mario Levi) écrivain grec (Ersi Sotiropoulos), écrivain espagnol (Sergi Pamiès) mais pas Israélien. Ravages de la dhimmitude et de la vassalité. Non seulement Assouline obéit à l'injonction du dominant, arabe en l'occurrence, mais il anticipe, il partage, il intègre, il justifie la volonté qui veut l'assevir.

 

Au delà du personnage d'Assouline, l'incident de Marseille contient de précieux enseignements. Il met en lumière l'arrogance actuelle des Palestiniens. Lors de son premier contact avec Sakal, Darwich l'aurait interpellé dans ces termes: "Tu as servi dans l’armée ? Quelle unité ? Quand ? Où ? Pour moi, tu es le soldat d’une armée d’occupation fasciste alors je te pose la question". Et cette arrogance se déverse à l'étranger, sur le territoire français. On peut y voir toute la dégradation de l'image de l'Occident dans les intelligentsia arabes, et une confiance en un avenir conquérant sur les terres d'Infidèles épuisés et condamné par l'histoire. Arrogance inscrite dans le fameux "bow" d'Obama courbé jusqu'aux chaussures du souverain saoudien en 2009.

 

Le second enseignement réside dans l'échec patent du modèle inhérent à la démarche d'Ecrimed. Assouline glosait sur son salon comme expression de "l'identité méditerranéenne" et de "l’essentiel de ce que partagent des créateurs". Comme s'il y avait une identité méditerranéenne qu'Ecrimed devrait révéler et cultiver, là où les identités sont nombreuses et intensément conflictuelles. Le maire le Marseille voulait "faire de la Cité Phocéenne, une terre de rencontres et de débats entre des écrivains des pays du pourtour méditerranéen." La rencontre a eu lieu, elle a attisé les haines dans une petite explosion locale d'antisémitisme et de discrimination. On ne règle pas des contentieux, des guerres de civilisations, des ambitions conquérantes, et une arrogance de vainqueur avec des embrassades, des rencontres et un torrent d'intentions acidulées. "On ne choisit pas son ennemi, c'est lui qui vous choisit." Mais à vous alors d'adopter à son endroit le langage qui sied.
Notes

1 - Israeli author kicked off literary panel after request by Palestinian colleague, par Maya Sela 6 décembre 2011 http://www.haaretz.com/news/national/israeli-author-kicked-off-literary-panel-after-request-by-palestinian-colleague-1.399750

2 - Réponse à « Haaretz » et à quelques autres, 8 décembre 2011 http://passouline.blog.lemonde.fr/2011/12/08/reponse-a-haaretz-et-a-quelques-autres/

3 - La traduction : langue commune de la Méditerranée ? Avec Sylvie Cohen, Mosche Sakal (Israël), Colette Fellous (France) Rosetta Loy (Italie), Ersi Sotiropoulos (Grèce).
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