Soulèvements arabes: qui va gagner, qui va perdre ?

Publié le par Association France Israël Marseille

"Un autre regard sur le Proche-Orient" n°2 mars 2011

Il y a beaucoup de raisons de penser que dans quelques mois, quand on dressera un premier bilan des révoltes arabes entamées en Tunisie au mois de décembre 2010, il apparaitra que les adversaires de l'Occident et d'Israël se seront notablement renforcés. Daniel Pipes (1) s'est dit optimiste pour avoir vu de jeunes manifestants nettoyer la place Tahrir au Caire. Il a noté que les mouvements ont été "patriotiques et marqués par un esprit d'ouverture" anticipant " une nouvelle ère où les Arabophones infantilisés deviendraient adultes". Les héros arabes pervers, Saddam Hussein, Gamal Abdel Nasser, Khomeiny, Yasser Arafat, feraient figure de repoussoirs pour les manifestants. Benny Morris (2) anticipe au contraire un affaiblissement des positions des démocraties, en s'appuyant non sur des impressions et des espérances, à la surface des évènements, mais sur des faits tangibles.(1)

Des voix égyptiennes qui comptent comme celle de Ayman Nour, courageux par ailleurs, ou du tortueux Mohamed El-Baradeï, ont remis publiquement en cause le traité de paix avec Israël, demandant qu'il soit renégocié ou soumis à un référendum. L'accord avec Israël sur le gaz a aussi été mis sur la sellette. Israël envisage d'ores et déjà des options de substitution.

Tout montre qu'au plan global, l'Iran est en train de renforcer partout ses positions, tandis que celles de l'Arabie saoudite s'affaiblissent. La succession du prince Abdallah n'est toujours pas réglée, tandis qu'une extension des troubles au royaume lui-même n'est plus exclue.

L'attitude américaine a consisté à appuyer les soulèvements et à pousser les dictateurs en place au départ sans beaucoup d'égards. Ces options étaient indiscutablement frappées au coin de la morale, bien que nul ne sache vraiment quoi que ce soit de l'honorabilité des forces et des dirigeants qui seront demain aux commandes des états aujourd'hui contestés. Mais elles ont provoqué chez les dirigeants encore en place une vague d'inquiétude qui les pousse à rechercher des compromis avec Téhéran. Cela donne du poids à l'hypothèse d'une expulsion de l'Amérique de toute la région qui étreint d'inquiétude les responsables de l'administration américaine.

L'élimination humiliante du gouvernement Hariri à l'initiative du Hezbollah (qui a appris son éviction alors qu'il négociait à la Maison Blanche), l'empressement de l'Iran à tester les nouvelles autorités égyptiennes en envoyant des navires de guerre en Méditerranée via le Canal de Suez, tout cela montre que les cartes sont en train de se redistribuer à toute allure au Moyen Orient.

Le probable effacement américain ne peut que fragiliser les défenses d'Israël. Des autorités égyptiennes moins bien disposées envers l'oncle Sam collaboreront plus difficilement avec Israël pour réduire les flux d'armements en direction de Gaza ou stopper les infiltrations de combattants libanais ou iraniens. Elles ne feront pas grand effort non plus pour sécuriser la frontière avec Israël dans le Sinaï. Israël devra donc renforcer sa présence militaire dans cette nouvelle zone sensible.

L'état hébreu a d'ailleurs pris acte des risques de la nouvelle donne qui se profile.

Benjamin Netanyahou a souligné à quel point les accords signés avec les partenaires de la Région sont fragiles et menacés en permanence par un retournement politique. Il en a conclu que seules de solides garanties de terrain peuvent assurer la mise en œuvre effective d’accords éventuels. Une présence militaire israélienne dans la Vallée du Jourdain par exemple.

Devant cette menace, Israël a commencé à changer de ton. L'ancien chef d'état major Uzi Dayan, a demandé que son pays fasse bien comprendre à ses interlocuteurs et partenaires que la violation des accords de Camp David serait considérée comme un "casus belli". Il a aussi proposé d'améliorer la mobilité des troupes pour qu'elles puissent sauter d'un front à l'autre, Israël pouvant être menacé simultanément au Nord et au Sud. Yaakov Amidror, un général de réserve très écouté, envisage même la reconstitution d'un corps d'armée du front Sud face au Sinaï.

Pour couronner le tout, on apprend qu'un second site nucléaire syrien vient d'être identifié; il serait connecté à celui de Dair Alzour qui a été détruit en 2007 par une frappe israélienne. La Syrie continue de vouloir apporter sa pierre à la nucléarisation du Moyen Orient.

Ni l'Occident, ni l'Europe ne peuvent ignorer ces défis. Ils doivent prendre conscience que l'Axe iranien qui se déploie aujourd'hui en compagnie de la Turquie, n'est pas fondamentalement un Axe arabe. Les élites de ces pays n'ont rien à voir avec les princes et les généraux arabes, étriqués et cupides, plus soucieux de leur trésor personnel et de leur petit carré de pouvoir. Elles sont sensibles aux grandes idéologies impériales et elles ont juré d'expulser l'Occident et les non-musulmans de l'aire arabo-musulmane du Moyen Orient. Il semble qu'elles ont appris à mener des projets de grand ampleur et de longue durée. Les soulèvements arabes sont pour elles une occasion unique de mettre la main sur de nouveaux atouts stratégiques. Les Européens et les Américains soumis au plus sérieux défi de l'après-guerre seraient avisés de faire le bon diagnostic, mais surtout de se préparer à agir.

 

(1) Mon optimisme au sujet de la nouvelle révolte arabe National Review Online, le 1er mars 2011

http://fr.danielpipes.org/9545/nouvelle-revolte-arabe

(2) Losing the Middle East, The National Interest 22 février 2011

http://nationalinterest.org/commentary/losing-middle-east-4921

 

Publié dans lettre n° 2

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